Nouvelles de Paris

Une collection de lettres de 1870-1871 envoyées depuis Paris au cours du siège par les Prussiens, puis de la Commune.

Personnes impliquées dans les lettres Notes techniques liées à la transcription
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Paris 25 et 26 Avril /71

Monsieur A. Grünberg, Munich

Je vous confirme, Monsieur, ma lettre des 23 et 24 Ct.

Je reçois à l’instant votre honorée du 22 Ct. Nous vous remercions, mon cher Monsieur, des détails que vous nous donnez sur la fin si malheureuse de Madame Kunst, bien tristes détails, puisqu’ils se résument à dire que la mort seule pouvait être un terme à des souffrances de martyr, je comprends que cette considération vous ait fait supporter avec plus de résignation une épreuve aussi terrible.

Mes lettres du 1er au 10 inclus ne vous sont pas parvenues parcequelles ont été confiées à la poste et qu’elles attendent, sans-doute au fond d’une boite, le bon vouloir de la nouvelle administration de la Commune. Ce n’est qu’à partir du 11 Ct que je les ai expédiées, avec celles de la maison Kunst, par St Denis et j’apprends avec plaisir que vous les recevez régulièrement. Quant aux deux lettres que vous me dites m’avoir expédiées par deux voies différentes, elles ne me sont pas parvenues et attendent probablement à Versailles. Quoiqu’il en soit, comme votre lettre du 22 Ct les résume, je vais m’empresser de vous envoyer la copie des divers documents que vous désirez, dès demain cette expédition commencera par la voie de Mr Samson qui me paraît la plus sûre.

Je suis sensible au petit mot de Monsieur Louis, et malgré tout le plaisir que j’éprouverais à le voir, je le conjure de ne pas rentrer à Paris en ce moment, il serait pris de force dans les bataillons de marche. Je le tiendrai au courant des événements, et comme, sans doute, il va revenir à Bruxelles, il jugera le moment opportun pour rentrer. Afin de le mettre à l’abri d’un decret de la Commune qui met à la disposition des réfugiés de Neuilly les appartements des personnes émigrées depuis le 18 Mars, j’ai fait transporter hier des malles et caisses de linge appartenant à ma belle-mère, réfugiée de Neuilly, qui couche rue Royale mais qui est sensée occuper son appartement. La concierge de la rue Richelieu est avertie pour le cas où une réquisition serait faite pour disposer de cet appartement. Il n’y a pas de jour où nous ne soyons obligés de faire des efforts d’imagination pour arriver, dans un moment donné, à sauvegarder tous les intérêts que nous avons entre mains, et j’espère bien que tous les soins que nous prenons ne seront pas en pure perte.

C’est hier qu’a eu lieu l’armistice obtenu à grandes peines pour la rentrée des habitants de Neuilly dans Paris, il a duré de 9 hres du matin à 5 hres du soir. Cette suspension d’hostilités nous a permis de juger combien cette lutte de 3 semaines avait été acharnée, on ne peut se faire une idée des dégats supportés par ce malheureux Neuilly. Ce sont les portes de Neuilly et des Ternes qui ont le plus souffert. Les Ponts-Levy de la première n’existent plus, quand à ceux de la seconde, l’un est démantelé presque complètement, l’autre n’offrait que très peu de sécurité pour le passage des voitures rentrant dans Paris chargées de mobilier. On pouvait entrer et sortir par les portes Bineau et d’Asnières et on se pressait à toutes ces différentes portes avec un affolement qui pouvait faire croire que l’on fuyait un pays inondé ou incendié. Bien des personnes cependant sont restées, on se fait à tout. On ne dit pas aujourd’hui que la lutte ait repris avec une grande intensité de ce côté de Paris, le bruit de la canonnade paraît aujourd’hui se concentrer au point du jour et aux forts de Vannes et d’Issy.

Les Baricades de nos quartiers deviennent de véritables forteresses, une fois les Versaillais dans Paris, je ne vois la repression des fédérés que par des moyens extrêmes dont les habitants deviendront d’innocentes victimes.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.

Louis Guillier

P.S. Tout votre linge a été transporté chez Monsieur Louis.—