Paris 26 Février /71
Monsieur A. Grünberg, Munich
Je vous confirme, Monsieur, ma lettre du 24 et 25 Ct.
Nous sommes allés, aujourd’hui, à Croissy avec un laisser-passer, l’ennemi occupe Nanterre, Reuil et Chatou, nous avons passé les deux bras de la Seine sur des ponts de bateaux organisés par des pontoniers prussiens qui y font faction. Les obus du Mont-Valérien ont abimé plusieures maisons de Chatou et de Croissy, l’église surtout est presqu’en ruine. Quant à la maison que vous habitez, elle a été visitée, mais tout est en place et pas un arbre n’a été coupé. Alexandre recrée le potager qui avait souffert des rigueurs de l’hivers. Le salon a besoin de grandes réparations pour que toutes les traces de l’humidité disparaissent.
En rentrant à Paris, nous avons trouvé la population dans un état d’émotion indéfinissable, les journaux du soir annonçaient l’entrée des Prussiens pour le matin au petit jour, cette triste nouvelle avait provoqué des rassemblements nombreux au coin des rues et sur les places, et des orateurs fulminaient et excitaient les auditeurs à la résistance. Nous devons dévorer cette dernière humiliation dans le silence et la dignité. On pense que le séjour des Prussiens ne durera pas plus de trois jours temps indispensable à l’assemblée Nationale pour la discution et la ratification des préliminaires de la Paix. Quoique les conditions ne soient pas encore officiellement connues, il se dit que l’indemnité à payer sera de cinq milliards et que cession sera faite de l’Alsace et de la Lorraine Allemande. Nous sauvons notre importante place de Belfort en les laissant entrer dans Paris jusqu’à la signature de la Paix.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations bien empressées.
P.S. Nous espérons que Monsieur Louis sera arrivé sans encombre.—