Nouvelles de Paris

Une collection de lettres de 1870-1871 envoyées depuis Paris au cours du siège par les Prussiens, puis de la Commune.

Personnes impliquées dans les lettres Notes techniques liées à la transcription
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Paris 11 Février 1871

Monsieur A. Grünberg, Munich

Dieu soit loué ! j’ai enfin reçu, ce matin, de vos chères nouvelles. Votre lettre datée du 7 Ct me donne avis de l’envoi d’une précédente close que je n’ai pas reçue, sans-doute en vertu de l’article 15 de la convention du 28 Janvier.

Vous ne m’annoncez la réception de mes lettres que jusqu’à la fin de Décembre, je vous en ai cependant expédié deux en Janvier, l’une datée du 5 et l’autre du Vendredi 13, que je vous écrivis, à la hâte, en revenant de conduire aux Champ du repos le pauvre Antonio. Ah ! mon cher Monsieur, ne m’en voulez pas de ne pas avoir continué à vous écrire chaque jour, je n’avais plus que de facheuses nouvelles à vous apprendre, et dois-je vous l’avouer, à cet élan patriotique avait succédé un morne et profond découragement. Vous mettre au courant de nos émotions et de nos misères, était-ce réellement bien nécessaire ? hélas ! mon cher Monsieur, il était facile de voir que cet infortuné vaisseau balotté par des flots impétueux allait à la dérive et que l’équipage était aux abois. Après le bombardement des forts, le bombardement de Paris suivi du rationnement du pain et quel pain ! rien ne peut vous en donner une idée ! La mortalité quadruplée, des froids rigoureux sans possibilité de chauffage et des viandes salées impossibles, tel est l’apperçu succinte de nos privations et de nos misères.

Vous me demandez ce qui s’est passé dans votre maison depuis la fin de Décembre date de la dernière lettre que vous avez reçue de moi. En voici le détail en peu de mots : Mort du pauvre Antonio le 12 Janvier à 8 heures du matin, Latis sauvé deux fois du réquisitionnement pour l’Abattoir, Bibi perdu deux jours, il n’y avait qu’une bonne récompense qui pût la sauver de la broche du rotisseur, c’était un morceau friand.

Vous avez eu, en Janvier, cinq militaires malades convalescents qui sont sortis bien portants de la maison pour aller rejoindre leur corps, et quatre Gardes-Mobiles viennent de vous êtres envoyés pour être logés pendant un mois. Certes, quoiqu’absent, les charges ne vous ont pas manqué et les indemnités imposées à ceux qui ont quitté Paris ne peuvent vous atteindre. Quant à tout ce que renferme la maison, le tout est en bon ordre, rien n’a été et ne sera touché.

Nous autres pauvres réfugiés, nous avons eu moins de chance, notre mobilier descendu dans un sous-sol à Neuilly dont j’avais eu le soin de faire mûrer la porte, n’en a pas moins été la proie du pillage et du vol. Ce sont des Gardes-Mobiles, indignes d’être Français, qui se sont livrés à ces actes de vandalisme. Je suis assez stoïque en face du malheur, mais je vous avoue qu’en présence de tant de désastre, j’ai pleuré comme un enfant, surtout en trouvant le portrait de ma mère lacéré. Ma pauvre femme déjà brisée par les privations et les émotions du siège a été vivement éprouvée et j’ai craind un moment que sa santé n’en fût sérieusement altérée.

Nous avons pris une vive part à l’heureuse nouvelle de la délivrance de Madame Grünberg, veuillez, Monsieur, lui présenter mes respecteux hommages et agréez, je vous prie, l’expression de mes sentiments dévoués.

Louis Guillier