Nouvelles de Paris

Une collection de lettres de 1870-1871 envoyées depuis Paris au cours du siège par les Prussiens, puis de la Commune.

Personnes impliquées dans les lettres Notes techniques liées à la transcription
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Paris 6 Janvier 1871

Bien chère Madame,

Si j’étais sûre que ces lignes vous arrivent que de choses je vous dirais! Mais confions au caprice du vent notre souvenir en nous envoyant nos souhaits les plus sincères, les plus vrais!

Il y a dix jours, les premiers obus ont enfin paru dans les quartiers du Luxembourg, St Denis et Grenelle ; la population parisienne n’en est pas du tout effrayée, et les 110 jours de siège se supportent courageusement!

Nous ne mourons pas de faim mais notre nourriture consiste en viande de cheval distribuée par 40 gr. par jour tous les 4 jours, du riz, rarement au lard, quelques légumes conservés en boites et c’est tout. Plus de lait ; un morceau de pain le matin, avec du chocolat ou du vin chaud, et c’est tout.

Il n’y a plus rien, rien dans les halles, c’est ennuieux(?), une boisson de pommes de terre se paierait 20 fr, un œuf 2 francs, et des oignons 6 francs le litre ; l’autre jour après avoir battu les halles, j’en ai rapporté un bouquet de persil, chose rare du moment, mais peu nutritif.

Vous parlerai-je du Premier Janvier ? Pas un marron glacé mais j’ai reçu deux cadeaux rares, bien rares de Monsieur Rau : Devinez, mais je vous avoue que mes remerciements ont égalé ma joie : Un sac . . . . . de charbon de terre ! Et pour nous l’offrir, ce cher Monsieur l’avait collectionné ; il n’y en a plus maintenant ; les canons ont tout pris; mais ce n’est pas tout, un vrai lapin, et un lapin charmant qui vit avec Antonio se chauffe auprès de lui jusqu’à ce qu’il soit assez gras pour devenir pâté, et pâté exquis car aujourd’hui on les fabrique avec du chien du rat que sais-je. Les chevaux se requisitionnent énergiquement ; ils deviennent rares, et les fourrages plus encore, mais votre Latis va très bien.

Les nuits de remparts deviennent dûres, car le froid depuis le 21 est très grand.

Je paie mon tribut à la guerre, et j’ai mes pauvres mains couvertes d’engelures ; les moyens de chauffage sont rares, et votre palais de la rue Royale ne se contente pas d’une pièce chauffée, mais ceci n’est qu’une petite souffrance!

Le souhait le plus ardent que nous formions est d’avoir bientôt de vos chères nouvelles.

Nous avons en ce moment deux jeunes soldats convalescents qui viennent se rétablir, et qui bénissent Monsieur Grünberg.

Adieu Madame, puissent ces lignes vous parvenir en vous envoyant l’assurance d’une vraie affection, ainsi qu’à Monsieur Grünberg.

Clara Guillier

P.S. Je m’aperçois avoir bien abusé du mot rare dans ma lettre, mais c’est le mot du moment et des situations.

Embrassez bien Madame & tous vos chers bébés ; à bientôt l’arrivée au numéro 4.

Antonio ne se remet pas ; nous en sommes tourmentés.