(Lettre rédigée sur un papier à lettre avec en-tête imprimé au nom de Louis Rau)
Paris 28 Mai 1871
Mon cher Monsieur
Veuillez excuser avant tout la liberté que j’ai prise d’employer ce papier à lettre, mais tous les magasins étant fermés, je n’en ai pas trouvé d’autre dans votre Bureau.
Je vous confirme ma lettre du 26 Ct et l’envoi des lettres pour Monsieur et Madame Grünberg d’hier 27 Ct.
Depuis Midi, le canon a cessé de tonner, ce qui nous fait espérer que l’émeute
est bien vaincue, car depuis deux jours la butte Montmartre, occupée par les
Versaillais, ne cessait de tirer sur les buttes chaumont et le cimetière du
Père Lachaise où les émeutiers paraissaient avoir concentré leurs dernières
forces. Les nouvelles nous manquent, mais ce silence instantané du canon auquel
nous étions habitués pubitmes!(?) depuis 8 jours, est un signe
que ces dernières phalanges affolées sont anéanties.
Que de désastres, cher Monsieur, que de ruines ! que d’atrocités ! que
d’infamies !
J’ai parcouru Paris hier, c’est navrant !……
Nous sommes encore dans votre appartement, car la rue Royale n’est pas encore
habitable, il y règne une atmosphère suffocante et tous les écroulements des
ruines ne sont pas terminés. J’y vais matin et soir, mais je ne puis me
déterminer encore à y conduire ma femme et mon fils. je crainds pour eux les
émotions que j’éprouve chaque fois, ce spectable dépasse en horreur tout ce que
l’imagination peut inventer.
La surveillance de la maison rue Royale est vigilante, mais je ne serai
tranquille que lorsque la maison de la rue du coin de la rue
St Honoré sera complètement écroulée.
Monsieur Grünberg l’a échappé bel, c’est miraculeux que cette maison ait été
épargnée.
Monsieur Grünberg doit être auprès de vous, car les dépêches des événements de Paris ont dû le déterminer à se rapprocher de nous afin de pouvoir au premier signal rentrer ici.
D’après les bruits qui circulent, les sorties de Paris sont impossibles et les entrées assez rares.
Ma femme me pris de vous dire mille choses aimables, le moindre bruit la fait bondir.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.
P.S. Si Monsieur Grünberg n’est pas auprès de vous, vous voudrez bien le rassurer de nouveau sur la maison, demain je lui écrirai.—
Paris, Dimanche 28 Mai /71.—