27 Mai 1871 — 3 heures
Bien chère Madame,
Nous sommes vivants ! sains et saufs et c’est à cette heure la première nouvelle que l’on doit annoncer, mais je ne puis vous dépeindre cette lutte terrible !! Paris à l’agonie, ce feu enveloppant la ville, ces cris, ces morts, ces horreurs !!… non, les impressions ne peuvent être dépeintes, et tous, pauvres habitants, nous avons cru à notre heure dernière ! L’armée a été admirable ! quelle reconnaissance de nous avoir sauvés de ces bandits, de ces misérables qui n’ayant pu assouvir leur soif de sang du pillage, s’en sont vengés par l’incendie !
La maison est debout ! A cette heure elle est entourée de fumée mais la part du feu est faite ! la rue royale est terrible à voir ! plusieurs maisons ont été bombardées complètement par ces sauvages dans leur guerre impie ; onze personnes ont été trouvées ce matin asphyxiées dans les caves ; le coin de la rue du fg st honoré et de la rue royale, la maison de Leroy le coiffeur n’existe plus ! Nous n’avons pas vu toutes les horreurs ; le dimanche soir, nous étions allés tous trois coucher rue Richelieu, quand à 8 heures du matin, … … bonne vient de la part de Louise chercher toutes les clefs ; l’armée était entrée et les insurgés avaient pris la maison pour leur défense s’installèrent dans le grand salon que nous avions débarassé et caché dans tous les objets d’art qu’ils n’ont heureusement pas trouvés, mais le temps leur manquait ; ils demandèrent du vin ; mon mari avec laissé à Louise une cave pour abri(?), mais il ne put venir ; tout homme était pris aux barricades et au coup de fusil ; un homme, énoncé par eux de cette manière, ne s’étant pas assez battu, fut fusillé par eux dans le salon même et mon mari dès qu’il put passer rue royale le fit enterer !! Non, je m’arrête j’aurais trop d’horreurs, trop d’impressions à vous raconter, mais nous ne saurions assez remercier Dieu de nous avoir sauvés, et d’avoir conservé ce que vous passeriez qui devait être proie des flammes ; quelques instants plus tard, la marine minée devait sauter avec le quartier !
Louise qui ne devait partir que le mardi, s’est très bien conduite ; la pauvre femme, après s’être sauvée affolée comme tout le monde dans les caves et dans les rues de derrière est entrée dans l’appartement avec l’armée. Hier, seulement mon mari m’a fait respirer un peu l’air et pour voir hélas ! des victimes, gisants sous les portes et des traînées de sang !!! Ah ! l’horreur !!… Je suis prise d’un tremblement continuel et dès que Paris aura ouvert ses portes, que nous aurons embrassé Monsieur Grünberg, nous partons tous le plus loin possible respirer la tranquilité, quelques jours aussi … ; Gaston va bien mais il a été fort effrayé ; le combat de la rue richelieu a été long, et les obus de Montmartre y ont plu une nuit ; quelle nuit !! Adieu, bien chère Madame, je vous embrasse de toute mon âme, de tout cœur