Paris 1er Mars /71
Monsieur A. Grünberg, Munich
Je vous confirme, Monsieur, ma lettre du 28 Ct.
Paris saigne et pleure ce matin, car à la douleur de toutes ses plaies à peine cicatrisées se joint celle bien plus navrante encore de voir l’ennemi franchir ses ponts-levy. Le Gouvernement, depuis vingt-quatre heures sortant, a pris des mesures qui réduisent à néant les coupables projets des bandes sédétieuses. Il y a un déploiement de forces considérables, une organisation sérieuse paraît avoir été prise. Ce matin, des cinq heures, la troupe de ligne et la Garde-Nationale ont été appelées sous les armes pour le maintien de l’ordre : de fréquentes patrouilles de cavalerie circulent dans le faubourg St Honoré jusqu’à la porte des Ternes et dans un rayon plus éloigné sur les Boulevards, à la hauteur du nouvel Opéra, des Cies de Guerre de la Garde-Nationale surveillent les mouvements qui pourraient se produire. Aucun journal n’a paru ce matin et relache est faite dans le petit nombre de théatres qui avaient rouvert leurs portes.
Tous les magasins, les Restaurants et les cafés sont fermés, des drapeaux noirs flottent aux fenêtres. Franchement l’aspect est lugubre. Il est onze heures et demie, l’entrée était pour dix heures, quelques lanciers noirs, le sabre nu, parcourent la place de la Concorde. Toutes les statues qui entourent la place et qui représentent nos principales villes de France ont la face voilée d’un crêpe noir. La Bourse est fermée jusqu’à leur départ. Peu de monde sur la place de la Concorde jusqu’à deux heures, on circulait librement, quant à cette heure, une assez grande affluence de curieux s’est présentée venant des Boulevards, à partir de ce moment la consigne a été de ne plus laisser passer dans la portion de la rue Royale qui aboutit du faubourg St Honoré à la Place de la Concorde. Beaucoup de populace dailleurs, fort peu de gens comme il faut et toutes les dames en noir. Cette première journée paraît devoir se passer de manière assez digne de part et d’autre, à demain les détails de la nuit et de la seconde journée.
D’après l’officiel seule feuille parue, ce n’est qu’aujourd’hui Midi que le rapport des préliminaires de la paix a du être communiqué à l’assemblée Nationale séant à Bordeaux.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.